Introduction

Que les choses soient claires, s’entraîner en escalade pourrait être résumé par la seule pratique de l’activité, avec l’idée assez communément acceptée que « plus tu grimpes et plus tu progresses ». Ce n’est pas forcément un mal intrinsèque à cette activité mais globalement une idée forte et ancrée dans le monde sportif que le quantitatif n’a pas d’égal pour faire progresser.

Dans un premier temps cette approche n’est pas à mes yeux une mauvaise chose tant l’escalade est une activité motrice complexe, qui requiert des qualités nombreuses et variées, qu’il faut pouvoir réussir à exprimer dans des situations toujours renouvelées. Donc la multiplication des expériences d’escalade ne peuvent qu’être profitable.

Mais le constat, notamment dans les salles de diff, c’est de voir plafonner la grande majorité des grimpeurs avec un schéma de séance très souvent monolithique que nous pourrions résumer à une progression croissante du choix des cotations de voies jusqu’à l’échec, puis une réduction de l’intensité (baisse de la cotation) jusqu’à la fin de séance.

Pourtant, au gré de mes discussions informelles avec des grimpeurs, j’entends pas mal de frustration quand les voies réussies restent éternellement dans la même cotation.

La question qui me vient : pourquoi ne pas essayer autre chose ? Car il n’y a évidemment personne pour me dire qu’il n’est pas intéressé par une progression.

Sortir des sentiers battus

En effet, la pratique reste très souvent la même : on grimpe une ou deux fois par semaine en attendant qu’il se passe quelque chose.

Hormis quelques thématiques saisonnières pour les plus aguerris : de la conti[1], de la rési[2] et du travail dans les projets. Des tractions sur la barre à la maison si on est empêché d’aller à la salle ou en falaise, mais globalement, pas de référence à une programmation, un cycle de travail et des séances précises ciblant un thème.

Je ne suis pas sociologue de l’activité mais on peut aisément penser que s’entraîner dans une telle activité est antinomique avec certains de ses fondements.

Nature, liberté, affranchissement à certains codes sociaux et notamment ceux du travail, ne semblent pas compatible avec l’idée d’une rigueur inhérente à un projet d’entraînement.

Il y a peut-être aussi l’idée que de chercher à progresser en réfléchissant sa pratique, en périodisant son travail, en visant à développer certaines qualités peut donner l’impression de se prendre au sérieux dans une activité où l’amusement prévaut.

Notes

  1. 1 Fait référence à un effort assez modéré mais très prolongé dans le temps. En escalade cela peut être un enchaînement de plusieurs voies consécutives de niveau sous maximal.
  2. 2 Fait référence à un effort soutenu relativement bref. Cela reste quand même assez opaque quant à la définition de la fourchette de durée, mais pour faire court de 1’ à 2’30’’ environ.

L'exemple du running

Dans le milieu de la course sur route, cela fait près de 40 ans que des joggeurs de tous niveaux font usage de plans d’entraînement très structurés où se croisent des séances de récupération, de volume (endurance), de seuil, de développement de la vitesse maximale aérobie, de travail technique sur la foulée …

Photo Akuna (J.M. Gueye)

Personne n’en rit parce que les progressions individuelles sont là. Les chronos personnels améliorés. La connaissance de soi toujours plus fine.

Bref, l’idée que l’entraînement n’est que roboratif et réservé aux athlètes de haut-niveau semble avoir été dépassée dans le secteur de l’endurance.

Les amateurs ne souffrent d’aucun complexe pour mettre en place des entraînements qui n’ont rien à envier à ceux des élites, tout en ne bénéficiant pas d’aménagement du temps travail, en gérant leur famille, sans suivi médical ad hoc, ce qui est encore plus difficile.

Alors pourquoi si peu de choses visibles en escalade ?

Vous me direz que c’est faux, que les pan gullich pullulent dans les salles commerciales, que beaucoup de grimpeurs ont des poutres à la maison, ou dans le sac et vous avez raison.

Mais pour en faire quoi ?

Des défis no-foot en fin de séance ?

Des concours de suspension à deux mains sur une réglette de 7mm ?

Je sais que j’exagère, mais hormis les grimpeurs experts ou élites qui ont un savoir- faire en la matière ou encadrement pointu, il n’y a pas beaucoup de personnes qui s’entraînent de façon structurée tout au long de l’année dans ce sport.

Sans doute par manque d’outils, de connaissances, d’envie de s’y pencher “sérieusement” mais aussi parce que ça ne les intéresse pas !

Pour ces derniers, réfléchir sa pratique c’est lui faire perdre son essence : simplicité, instinctivité et plaisir. Et je le comprends très bien.

Pourtant, je pense qu’il est possible et surtout absolument compatible avec la notion de plaisir/jeu, de structurer un entraînement efficace, pas si chronophage et surtout avec de très beaux résultats !

S’entraîner, c’est une expérience scientifique sur soi

Comme l’explique très bien Véronique Billat[1], à compter de l’instant où l’on teste, que l’on détermine un axe de travail (hypothèse), que l’on planifie des séances, qu’on les réalise et que l’on note scrupuleusement les effets et les ressentis, on est pleinement dans une démarche scientifique, même si les connaissances pures ne sont pas très étoffées.

Faire une démarche rationnelle et mesurée d’entraînement n’est pas réservé aux universitaires ou aux champions !

Note

  1. 1 Véronique Billat, est une physiologiste française, qui a consacré son travail à établir le lien entre la science et l’empirisme de l’entraînement sportif en confrontant l’expérience du terrain à la théorie physiologique. De cette dialectique, elle a élaboré une méthode d’entraînement individualisée fondée sur le profil du sportif prenant en compte l’énergie à VO₂ₘₐₓ et ses facteurs limitatifs.

Photo Arthaud Proust

S’entraîner c’est sortir de la monotonie !

S’inscrire dans une démarche où l’on cherche à comprendre ce que génère une forme de travail sur son corps (technique, force, endurance, souplesse, explosivité, engagement, etc …) c’est se donner la possibilité de faire des entraînements très différents les uns des autres.

Par période, je vais pouvoir orienter mon travail car les objectifs sont différents au grès de mon calendrier (bloc, diff, falaise, projet, compétition …)

Il n’y a rien de plus motivant que de varier ses séances, les sollicitations, les contraintes …

Sur le plan psychologique, cette variété est un vrai moteur car cela permet de lutter contre la lassitude.

Sur le plan physio, varier les sollicitations est la meilleure des voies pour obtenir des réponses fortes de son organisme. En effet, l’écueil le plus répandu est de répéter trop souvent le même type de séance, en durée, en intensité … car on atteint très vite un plafond.

Diversifier, c’est aussi une excellente méthode de prévention des blessures, car c’est souvent la très grande répétition mécanique qui génère les tendinopathies, les fractures de fatigue et autres bobos d’usure.

Diversifier, c’est aller du 1/10 au 10/10 en RPE (ressenti de l’effort).

En effet, les entraînements sont trop souvent monocorde.

Il faut pouvoir faire cohabiter dans la même semaine une séance cardio en zone 2 (endurance fondamentale) et une séance de force maximale (10/10).

Ces deux séances vont se compléter l’une l’autre, car elles requièrent une disponibilité psychologique et physique tout à fait différente.

Diversifier c’est aussi s’amuser car on se retrouve un peu créateur de ses propres entraînements, souvent glanés sur le web, dans des livres ou des discussions informelles, mais qu’il faut digérer à sa sauce pour les adapter à ses besoins.

S’entraîner c’est en faire un peu moins, mais mieux !

Fini le « à muerte » !

Grand classique dans le milieu de la grimpe et des autres sports : tu ne rentres chez toi que lorsque tu as 3 steaks par main, les bras bétonnés et que ton t-shirt ressemble à une serpillère…

Je ne dis pas que ce n’est pas sympa de finir à genoux, parfois, car c’est aussi pour cela que beaucoup d’entre nous faisons du sport : tout lâcher jusqu’à une mise à zéro des batteries.

Mais cette approche unique est tellement chronophage, épuisante à terme et surtout très limitative quant à vos progrès !

Comme évoqué plus haut, en fonction de vos objectifs vous devez balayer des séances à très faible intensité, centrées sur des éléments tactiques, des séances médium où l’enjeu peut-être centré sur la pose des pieds, le placement … et des séances où il faut vraiment sortir de sa zone de confort avec une intensité max. Mais intensité max n’implique pas forcément épuisement. C’est souvent une belle confusion !

Trouver chaussure à son pied

Je crois que s’entraîner de façon appliquée et réfléchie ce n’est pas forcément se prendre au sérieux. J’admets que cela peut générer une forme de pression pour certains qui n’ont pas envie de se donner à voir face à la communauté des grimpeurs comme des dingos du training.

L’escalade reste un sport « fun » et je comprends que basculer dans un protocole de planification, de séances à respecter au jour le jour, peut être vécu comme un enfermement.

Il faut donc trouver le juste milieu en fonction de votre personnalité et déterminer au grès de vos expériences ce qui vous va bien, avec un ratio positif entre les contraintes et les progrès sur le mur.

Mais pour cela, il faut quand même essayer, pour voir !

Arriver dans votre salle avec un plan clair de votre séance pourra vous aider à ne pas partir dans tous les sens, comme essayer compulsivement les nouvelles ouvertures de la semaine !

J’aime à cette idée que l’on puisse passer 6 à 8 semaines dans un bloc de travail pour profiter de façon différée des fruits de ses efforts.

C’est une forme d’éloge de la patience, de la persévérance et surtout un sacré gros kiff !